En ce moment, je cogite énormément, sans doute trop ailleurs.
Divers
éléments me font prendre conscience que je glisse (enfin ?) vers le
monde adulte. Fini la fac, bonjour les galères administrative, la
recherche d'emploi. Je sais aussi que cela me fait peur. J'ai
l'impression d'être aussi nu que le nouveau-né, aussi fragile, mais moi
je n'ai pas la force de crier pour inspirer ma première goulée d'air.
Aujourd'hui,
il s'est passé quelque chose qui m'a cruellement projeté dans le réel.
Il y a quatorze ans, j'ai acheté un cheval. Une petite bestiole noire,
pas très jolie, mais d'une gentillesse défiant l'entendement. Il avait
alors 16 ans, moi 13, et en pleine adolescence pénible et douloureuse.
Pendant
toutes ces années, ce cheval a été mon confident, mon réconfort. Le
seul à savoir quand j'allais mal, le seul à venir poser sa tête contre
moi, simplement, semblant me dire "On se relève de tout, tu sais."
J'ai
passé des heures en sa compagnie, à le veiller, à l'aider à vieillir du
mieux possible. Me battre pour le rendre heureux, pour le sauver de la
détresse quand sa compagne est morte. Cette petite jument grise qui m'a
usé la voix, brûlé les muscles tant j'ai passé d'heures a essayer de la
relever le jour où elle a décidé de mourir.
Aujourd'hui,
mon cheval a trente ans. Il est en fin de vie, je le sais depuis
toujours. Dans le froid glacial de ce dimanche maudit, il s'est laissé
tomber. Il s'est évanoui. Ma mère l'a retrouvé et comme moi il y a
quelques années, elle a lutté pour ne pas le laisser partir. Elle a
réussi. Elle m'a appelé et m'a raconté cette mésaventure, bon sang, s'il
n'y avait pas cette neige, je serais en ce moment même au "chevet" de
mon cheval.
J'imagine
que mon attachement peut sembler stupide, ou dérisoire à certains mais
je m'en moque. Seul compte ce que je ressens et c'est bien une chose que
la transition m'aura apprise. L'idée de le perdre n'a jamais été
concrète. Lui, mon seul réconfort pendant des années d'enfer. Je devrais
accepter la symbolique de son départ imminent comme le signe de ma
renaissance mais je ne peux m'y résoudre. Il fait partie de moi, c'est
un fait, et il y a quatorze ans que j'ai tout donné pour le rendre, avec
succès, heureux.
Je
voudrais pouvoir être serein pour l'accompagner avec le sourire pour
ses derniers instants mais je ne peux m'y résoudre, pas encore. C'est
peut-être égoïste, mais je veux lutter pour qu'il vive encore, qu'il ne
m'abandonne pas tout de suite. Je n'ai plus qu'à croiser les doigts en
espérant que tout se passe au mieux, quelque soit l'issue. De toute
façon, il y a des années que j'ai abandonné toute idée de prier.