En ce moment, je vis dans un inconfort brutal dont j'aimerais me défaire.
Pour
rappel, je suis au chômage depuis fin novembre. En soi, je le vis bien.
Mieux, j'avais besoin de cette pause pour faire le point avec moi-même,
me reposer, essayer d'être plus serein. La transition est un poids
moral très lourd à porter, et après deux ans de lutte avec moi-même,
j'avais besoin de ce break.
Aujourd'hui,
je vis dans une situation semblable au coming-out. Faire comprendre aux
autres pourquoi je ne travaille pas, mais je n'arrive pas à l'exprimer.
La simple question "As-tu trouvé du travail ?" ou pire, celle appelant
un non : "Cherches-tu du travail ?", est une véritable torture. Je n'ai
pas envie de me justifier, tout comme je n'ai pas envie d'expliquer
pourquoi je me sens homme. Si ce dernier point n'a pas de réponse, il y
a en une multitude sur la question du travail. Une fois de plus, à mon
sens, cela me donne l'impression de devoir justifier l'injustifiable,
car totalement en marge des normes sociales.
Dans
ma promo, tous ou presque ont trouvé du boulot. Ils triment leurs 35
heures ou plus, bien sagement. Métro, boulot, dodo. Smic et vie chiante
comme pas deux. L'idée seule d'être planté derrière un bureau me révulse
et me retourne l'estomac. Aujourd'hui, je regrette vraiment d'avoir
fait cette formation, j'ai vraiment l'impression d'avoir perdu mon
temps. La seule chose que j'en retiens est que j'ai rencontré une amie
formidable. Une vraie chance, certes, mais cela ne me donne pas de
boulot pour autant.
Si
c'était à refaire, je serais resté aux Beaux-Arts. J'y aurais achevé ma
formation, plutôt en dessin, voire en design. Je sais depuis toujours
que je veux créer. Ecrire, surtout. C'est là la seule chose qui me fasse
vibrer de la tête aux pieds avec la même constance depuis près de
quinze ans. Malheureusement, j'ai plus de chances de gagner au Loto que
de réussir à en vivre.
Il
faut bien trouver une activité alors, un truc pour paraître normal,
suivre les normes de notre gentille société. Finalement, la chose qui me
motive à trouver un travail est l'argent, bêtement. Car il est
difficile de vivre sans , et par vivre, j'entends sortir, voyager,
bouger, voir des amis, des expos. Car objectivement, avec le RSA et la
CAF, vivre juste pour être logé, manger, dormir, est possible.
Depuis
quelques années, une envie d'avenir ressurgit par phases. Là, cette
phase est plus longue que d'ordinaire. J'y pense tous les jours depuis
que j'ai pu la mettre en pratique.
J'ai
peint une fresque pour un stage, et j'ai choisi un nouvelle ameublement
dans une bibliothèque. Cela m'a plu, puissamment, et j'aimerais pousser
l'idée jusqu'à en faire mon métier alors que je ne suis pas du tout
formé pour ça. J'aime travailler la matière, le bois, le papier, le
métal. J'aime rénover des meubles, aménager un espace, peindre de
grandes surfaces, jouer de tissus, de couleurs.
Ce
qui me retient ? La viabilité d'une telle entreprise d'une part, mais
surtout le regard d'autrui. Même si certains m'encouragent dans ma
démarche, la plupart me prennent pour un fou. Etant fâché avec ma
confiance en moi, ces réactions négatives influent sur moi avec plus de
force qu'elles ne le devraient.
Sauf
qu'aujourd'hui, je n'envisage pas mon avenir autrement. Perceuse,
meuleuse, fer à souder, bois, dentelle, vis... La matière, toujours la
matière. Créer cette entreprise me permettrait d'évoluer dans la sphère
des créatifs lillois, me permettrait d'être mon propre patron sans qu'on
me juge sur mon apparence. Je veux juste vivre en osmose avec moi-même,
et ce pour quoi j'ai été formé est en totale contradiction avec mes
convictions les plus profondes.
Oui,
je vais en chier, sacrément même. Oui, je ne serai jamais riche mais
bon sang, quelle importance ? Si j'ai de quoi manger et de quoi voir mes
amis, le reste importe peu. Nice suit, nice desk, nice situation... Et pourquoi faire ? Faire joli, rendre les autres heureux de me voir rentrer dans le moule bien que je sois un freak ?
Je
sais que le plus sage serait de travailler dans ma branche le temps de
mettre de l'argent de côté. Jouer au monsieur madame, travailler avec
une identité féminine, cacher mon secret si j'arrive à mettre un
hypothétique patron dans la confidence ? Non. Définitivement, non. Je ne
veux pas être un trans, je ne veux pas être la bête curieuse. Je ne
veux pas passer ma vie à ête confronté à ce que je suis, c'est hors de
question.
Alors
il me reste à faire en sorte de tester mon projet, de me rapprocher des
bonnes institutions pour avancer au mieux et le reste suivra. Je sais
qu'avec un torse et quelques mois de testo en plus, je me sentirai plus
fort. En attendant, je guette la pauvre offre d'emploi en télétravail,
histoire de gagner ma croûte sans être confronté au regard des autres.
J'en ai marre de jouer les fantômes de l'opéra. Je veux vivre
simplement, être moi. Même si je dois lutter pour faire vivre mon
projet, même si je dois m'opposer aux réflexions des autres.
Je suis déjà trans, pd, goth, alors pourquoi pas artiste à temps plein ? Je pense que je ne suis plus à ça près.