mardi 25 janvier 2011

Monde du travail et transition

En ce moment, je vis dans un inconfort brutal dont j'aimerais me défaire.
Pour rappel, je suis au chômage depuis fin novembre. En soi, je le vis bien. Mieux, j'avais besoin de cette pause pour faire le point avec moi-même, me reposer, essayer d'être plus serein. La transition est un poids moral très lourd à porter, et après deux ans de lutte avec moi-même, j'avais besoin de ce break.
Aujourd'hui, je vis dans une situation semblable au coming-out. Faire comprendre aux autres pourquoi je ne travaille pas, mais je n'arrive pas à l'exprimer. La simple question "As-tu trouvé du travail ?" ou pire, celle appelant un non : "Cherches-tu du travail ?", est une véritable torture. Je n'ai pas envie de me justifier, tout comme je n'ai pas envie d'expliquer pourquoi je me sens homme. Si ce dernier point n'a pas de réponse,  il y a en une multitude sur la question du travail. Une fois de plus, à mon sens, cela me donne l'impression de devoir justifier l'injustifiable, car totalement en marge des normes sociales.
Dans ma promo, tous ou presque ont trouvé du boulot. Ils triment leurs 35 heures ou plus, bien sagement. Métro, boulot, dodo. Smic et vie chiante comme pas deux. L'idée seule d'être planté derrière un bureau me révulse et me retourne l'estomac. Aujourd'hui, je regrette vraiment d'avoir fait cette formation, j'ai vraiment l'impression d'avoir perdu mon temps. La seule chose que j'en retiens est que j'ai rencontré une amie formidable. Une vraie chance, certes, mais cela ne me donne pas de boulot pour autant.
Si c'était à refaire, je serais resté aux Beaux-Arts. J'y aurais achevé ma formation, plutôt en dessin, voire en design. Je sais depuis toujours que je veux créer. Ecrire, surtout. C'est là la seule chose qui me fasse vibrer de la tête aux pieds avec la même constance depuis près de quinze ans. Malheureusement, j'ai plus de chances de gagner au Loto que de réussir à en vivre.
Il faut bien trouver une activité alors, un truc pour paraître normal, suivre les normes de notre gentille société. Finalement, la chose qui me motive à trouver un travail est l'argent, bêtement. Car il est difficile de vivre sans , et par vivre, j'entends sortir, voyager, bouger, voir des amis, des expos. Car objectivement, avec le RSA et la CAF, vivre juste pour être logé, manger, dormir, est possible.
Depuis quelques années, une envie d'avenir ressurgit par phases. Là, cette phase est plus longue que d'ordinaire. J'y pense tous les jours depuis que j'ai pu la mettre en pratique.
J'ai peint une fresque pour un stage, et j'ai choisi un nouvelle ameublement dans une bibliothèque. Cela m'a plu, puissamment, et j'aimerais pousser l'idée jusqu'à en faire mon métier alors que je ne suis pas du tout formé pour ça. J'aime travailler la matière, le bois, le papier, le métal. J'aime rénover des meubles, aménager un espace, peindre de grandes surfaces, jouer de tissus, de couleurs.
Ce qui me retient ? La viabilité d'une telle entreprise d'une part, mais surtout le regard d'autrui. Même si certains m'encouragent dans ma démarche, la plupart me prennent pour un fou. Etant fâché avec ma confiance en moi, ces réactions négatives influent sur moi avec plus de force qu'elles ne le devraient.
Sauf qu'aujourd'hui, je n'envisage pas mon avenir autrement. Perceuse, meuleuse, fer à souder, bois, dentelle, vis... La matière, toujours la matière. Créer cette entreprise me permettrait d'évoluer dans la sphère des créatifs lillois, me permettrait d'être mon propre patron sans qu'on me juge sur mon apparence. Je veux juste vivre en osmose avec moi-même, et ce pour quoi j'ai été formé est en totale contradiction avec mes convictions les plus profondes.
Oui, je vais en chier, sacrément même. Oui, je ne serai jamais riche mais bon sang, quelle importance ? Si j'ai de quoi manger et de quoi voir mes amis, le reste importe peu. Nice suit, nice desk, nice situation... Et pourquoi faire ? Faire joli, rendre les autres heureux de me voir rentrer dans le moule bien que je sois un freak ?
Je sais que le plus sage serait de travailler dans ma branche le temps de mettre de l'argent de côté. Jouer au monsieur madame, travailler avec une identité féminine, cacher mon secret si j'arrive à mettre un hypothétique patron dans la confidence ? Non. Définitivement, non. Je ne veux pas être un trans, je ne veux pas être la bête curieuse. Je ne veux pas passer ma vie à ête confronté à ce que je suis, c'est hors de question.
Alors il me reste à faire en sorte de tester mon projet, de me rapprocher des bonnes institutions pour avancer au mieux et le reste suivra. Je sais qu'avec un torse et quelques mois de testo en plus, je me sentirai plus fort. En attendant, je guette la pauvre offre d'emploi en télétravail, histoire de gagner ma croûte sans être confronté au regard des autres. J'en ai marre de jouer les fantômes de l'opéra. Je veux vivre simplement, être moi. Même si je dois lutter pour faire vivre mon projet, même si je dois m'opposer aux réflexions des autres.
Je suis déjà trans, pd, goth, alors pourquoi pas artiste à temps plein ? Je pense que je ne suis plus à ça près.

mercredi 12 janvier 2011

Bilan des deux mois

Voilà deux mois que j'ai commencé mon traitement hormonal, et je me dis qu'un petit bilan s'impose.
Tout d'abord d'un point de vue physique :
- Ma voix a baissé, c'est un fait. Je l'ai constaté en m'enregistrant mais j'ai du mal à m'en rendre compte. Elle n'est absolument pas stable et je me retrouve parfois aphone, ou à couine comme un poney alors que je prévoyais un autre son. J'ai moins mal à la gorge qu'au début, mais cela persiste et il m'est impossible de porter quelque chose de serré autour du cou.
- La forme globale de mon corps change. Je perds des hanches, du bide, et mes épaules se développent. Bien sûr, je suis impatient que cela soit plus probant mais cette évolution me plaît. La forme de ma poitrine a aussi changé. J'aurais du mal à l'expliquer. Toujours le même tour de poitrine, mais pas la même forme.
- Niveau pilosité, j'ai un début de moustache, des poils fins et noirs, et deux trois qui se perdent sur mon menton. Pas d'autre changement notable ailleurs, sauf peut-être plus de poils sur le ventre (et c'est très bien comme ça)
- Niveau peau. L'odeur de ma peau change. Elle devient plus masculine et ça me plat, bon, hormis le fait que je sente le bouc même après la douche ! (me cassez pas les noix avec la pierre d'Alun, je ne la supporte pas) J'ai une acné raisonnable. C'est moche, mais ça pourrait être pire. Menton, joue, front, un peu sur le haut du dos et sur le torse.
- Niveau musculature. Mes bras changent, mes épaules aussi. Globalement, je suis moins mou. Et j'ai la surprise d'avoir le sentiment que les objets sont moins lourds, ce qui fait que je les attrape parfois un peu trop fermement ^^' C'est assez drôle dans l'ensemble. Je me sens plus endurant aussi, moins rapidement fatigué pour les diverses choses du quotidien.
Maintenant, voyons les mauvais côtés :
- L'odeur déjà. C'est assez complexe à gérer de puer le bouc non stop.
- Le mal de gorge, c'est pénible.
- Les crampes. Dans le cou, les deltoïdes, et aussi dans les mollets. Cela survient brusquement, c'est douloureux, puis ça repart. J'ai parfois des fourmillements dans les jambes également.
- L'agressivité. Là, c'est un point très délicat. Je suis beaucoup moins patient, beaucoup plus impulsif, et le moindre fait irritant prend une ampleur dantesque. J'essaie de me tempérer, mais en ce moment, je hais les trois quarts des habitants de cette terre, ce qui n'est pas commode.
- J'ajouterai en inconvénient que cette mutation me fait me terrer plus que d'ordinaire dans ma grotte. Il faut dire que je suis maintenant à deux doigts de retourner un taquet dans la tronche de quiconque se trompant de genre. De plus, j'ai comme l'impression que certains inhibitions sur l'acidité éventuelle de mes propos est levé. Bref. Je préfère m'isoler le temps que ça se tasse plutôt que d'agresser mes proches.
Bon, ce topo fait, revenons à un autre aspect, que je dirais psychologique, ou plutôt sur le ressenti.
Je découvre avec stupeur que je n'ai aucun mal à me faire mes injections, moi qui appréhendais, finalement je m'en fiche (et c'est tant mieux !) Je suis réellement enchanté d'avoir fait ce choix et chaque modification de mon corps, même les négatives, m'apparaissent comme une révélation. J'ai enfin le sentiment d'avoir trouvé le chemin du moi. Même si j'estime que je me sentirai mieux d'ici quelques mois, j'arrive à avoir la patience de voir venir cette évolution.

lundi 3 janvier 2011

Des voeux de 2011

Eh bien, sommes-nous obligés de passer par la sempiternelle case des vœux de nouvel an ?
J'ai envie de dire non, pour la simple et bonne raison que chacun est maître de son destin. C'est à chacun de faire ses choix, et la seule chose que j'ai envie de te souhaiter, ô lecteur, c'est la réalisation de tes propres souhaits.
Un passage dans une année nouvelle n'est que succession de jours, d'heures, de minutes. Il n'est rien de plus ordinaire, conditionné par le seul fait de notre calendrier qui veut rendre cet évènement festif. Pour ma part, je m'en fiche et le festival du décompte et des bises de nouvelle année m'insupporte.
Néanmoins, cette année, j'ai été heureux d'embrasser et de serrer dans mes bras des gens qui ont accepté ma migration identitaire sans poser la moindre question. Étant superstitieux quand j'en ai envie, j'ai décidé que c'était là le signe d'une bonne année à venir, année frappée du sceau du onze, mon nombre fétiche.
Le onze doit voir l'avènement de mon torse, et l'évolution de mon être au fil de ce doux poison qu'est la testo.
Pourquoi "doux poison" ?
Parce que j'aime le masochisme prégnant de l'auto-injection, parce que cet envol vers mon moi réel révèle mon plein potentiel agressif, parce que mon impatience et ma misanthropie latente n'ont jamais été aussi fortes, parce que ma voix sombre vers le grave, que j'aime ça, parce que la douce caille mute en connard arrogant et narcissique et que je n'éprouve aucune honte, aucun remord, aucun regret, parce que ces épreuves me rendent plus fort, plus sûr de moi.
Parce que je m'engage dans une lutte dantesque mais que je suis fier de livrer ce combat contre moi-même, et que le jour où je pourrais me fixer dans une glace, droit dans les yeux, droit sur le torse, j'aurai enfin le sentiment d'être complet, de voir ce moi larvaire éclater au profit de ce que je suis réellement.
Je me love dans mon cocon en attendant ce jour. Je fais des projets, je profite du temps qui m'est imparti à faire des choses que j'aime. Plus que tout, je projette. J'ouvre le champ des possibles vers une infinité qui me semblait jusque là inaccessible. Pourtant, je suis le même, mon esprit n'a pas changé, mais aujourd'hui j'ose. J'ose prendre la plume, j'ose dessiner, écrire, plus que jamais la faim me dévore au plus profond de mes tripes. Moi qui craignais que la transition me coupe l'envie de créer, je n'en ai jamais autant eu l'idée, le désir, le besoin.
Depuis que j'ai compris que jamais la transition ne ferait disparaître Monsieur Noir, je m'offre des armes pour combattre d'égal à égal. Ce cancer qui me ronge le cerveau depuis tant d'années, cette gentille dépression sirupeuse qui me lape le cerveau et étouffe chaque pore de ma peau, je sais que j'en serais dépendant toute ma vie.
Aujourd'hui, j'ai choisi d'en faire une force, et c'est la transition qui me le permet.