mercredi 8 février 2012

Mon ami, mon confident.

Aujourd'hui (cette nuit), je me fends d''un article en demi-teinte. Quand on crève de fatigue, mais qu'on a peur de la nuit, ce n'est pas le meilleur moment pour écrire.
Cela fait presque trois semaines que mon cheval est mort. La vieillesse l'a emporté, à l'aube de son trente-deuxième printemps. Il a fallu prendre la décision d'abréger ses jours, dire ce simple "oui, faites-le". J'ai perdu la notion du temps depuis cette sentence. Le jour même, je me suis effondré. Marionnette sans fils. Puis, j'ai fait ce que je fais toujours depuis que ma vie s'émaille de deuils : j'ai nié.
Il me fallait garder la tête haute, trop de problèmes à régler. Des conneries, de l'administratif, des choses non-vitales à une heure où je commençai cruellement à manquer d'oxygène. Je me suis battu, je me suis noyé dans le travail pour ne plus penser. Cela m'évitait l'alcool, quoique..., et c'est toujours ça de pris.
Et enfin, le retour de flammes. Oser penser à lui, oser prononcer son nom, son seul nom, associé au mot "mort". C'est intolérable. Il était mon ami précieux, mon confident. Il a accepté mes changements sans se poser de questions. Il savait que j'étais moi, peu importe mon genre, et il venait toujours lover sa tête dans mes bras quand il sentait que j'allais mal.
La dernière fois que je l'ai vu, il est venu vers moi, s'est serré contre moi. J'ai étreint cette lourde tête aux longues oreilles noires. Il n'était pas beau, selon les critères requis, mais il était le plus beau pour moi. Enfouir mon visage sous ses crins, presser ses oreilles entre mes mains, caresser la peau de son bout du nez, un peu tendre et rose sur le dessus, à la naissance du blanc de sa liste, rêche sur la pointe du nez, là où quand je le grattais, il vérifiait que je n'avais pas de carottes avant de se détourner, penaud, me devinant les mains vides. Il portait en lui une gentillesse incommensurable, que je n'ai jamais rencontré chez un autre cheval. Ces attentions discrètes et délicates, toujours attentif à ne pas gêner, quitte à déplacer maladroitement son vieux corps meurtri par l'âge. Toujours gentil, quelles que soient les circonstances.
Quand son amoureuse de pâture est morte, je me suis bagarré pour le faire renaître, car il était horriblement triste, mon bourriquet, à ce moment-là. Moi aussi, j'avais mal, mais je passais outre pour l'aider. Je crevais de peur à l'idée qu'il se laisse mourir de chagrin. De longs mois de lutte, j'ai réussi.
Lui, en retour, m'a toujours apporté un soutien sans faille. A force de passer ma vie à lutter contre moi-même, mes peurs, mes doutes, mes colères, mes peines, je pensais ne plus être en mesure de ressentir la moindre chose, asséché que j'étais. Mais lui venait toujours, à ces moments là, il fendait son groupe de compagnons et allait à ma rencontre. De loin, il savait que j'allais mal, et que j'avais besoin de lui. Là, comme toujours, il posait sa tête contre moi, d'un geste lent, puis se mettait à brouter à quelques pas de moi. Je me posais dans l'herbe à ses côtés, le regardait. Quand j'arrêtais enfin de pleurer, il me regardait à son tour avec son air si particulier de dire "On se relève de tout, tu sais."
Sauf qu'à présent, qui sera là pour me le dire ? Comment dois-je me relever de cette perte que je peine à mesurer ? J'ai tout fait pour lui offrir une belle vie. J'ai eu un bonheur immense à partager seize ans de ma vie avec la sienne. Mon ami fidèle, mon confident. Me voilà coupé en pleine envol par la douleur immense de ta perte, mais peut-être était-ce là une façon de me dire qu'enfin j'étais prêt. Que maintenant, je peux vivre de mes propres ailes.